De Mira Schor à Cyril Duret, grand écart
Patrick Scemama, in La République de l’art
L’éclectisme étant une des règles de base de ce blog, je voudrais vous parler aujourd’hui de deux expositions qui se tiennent à peu près à l’opposé sur le plan esthétique et qui ne témoignent pas du tout des mêmes préoccupations, mais qui ont un médium commun, la peinture. Il s’agit de l’exposition de Mira Schor à la galerie Marcelle Alix et de celle de Cyril Duret à la galerie Loeve&Co Marais. [...]
A l’opposé, se situe le travail de Cyril Duret, ce jeune peintre qui a été l’élève de Nina Childress, et qui a sa première exposition personnelle à la galerie Loeve&Co Marais. Car son propos est la peinture mondaine, un genre auquel sont identifiés des artistes comme Boldini ou Jacques-Emile Blanche, qui peignit le fameux portrait de Proust, et plus près de nous Dali, Warhol ou encore Pierre et Gilles. Mondaine, parce qu’elle représente des gens le plus souvent célèbres ou puissants (le commissaire-priseur François de Ricqlès, l’expert Alain Weil, la chanteuse Barbara Carlotti, par exemple), dans
leur environnement, c’est-à-dire avec leurs collections, les objets qui les caractérisent, l’ambiance dans laquelle ils évoluent. Ce sont parfois des portraits frontaux, où le modèle regarde dans la direction du spectateur, à
la manière des portraits de familles aristocratiques italiennes que Patrick Faigenbaum réalisa il y a quelques années, parfois des scènes de genre,
où les personnages, généralement en groupe, se livrent à leurs activités préférées, un peu comme les «Conversation pieces» du XVIIIe siècle. Mais
la particularité de Cyril Duret est de ne jamais chercher l’ironie, le décalage, le commentaire critique: les portraits résultent soit de commandes, soit
de choix délibérés, mais ils témoignent toujours d’un véritable respect du modèle, d’une empathie, d’une manière de vouloir le valoriser et le mettre en avant.
La force de ce travail -et, d’une certaine manière, sa modernité- est alors de jouer sur le genre, d’en assumer les règles et les contraintes. Car pour le reste, sa peinture, au demeurant très maîtrisée, pourrait sembler un peu désuète, avec sa palette sourde qui rappelle l’intimisme d’un Vuillard, ses clairs obscurs nostalgiques, ses compositions qui renvoient souvent aux maîtres du passé. Mais le dandy en joue et en rajoute même un peu dans la tradition.
Une des clés de son travail (outre Nina Childress, qui est d’ailleurs représentée ici et avec qui il partage le goût des images de stars) se trouve sans doute dans la personne de Patrick Mauriès, auteur du Second manifeste camp, à qui deux toiles sont consacrées, chez lui, à Nice. Celui-ci a publié récemment un ouvrage sur les «Néo-romantiques», un groupe de peintres de l’entre-deux-guerres, qui privilégiaient la figure humaine, voulaient échapper aux diktats du modernisme et dont Christian Bérard faisait partie (cf Christian Bérard, la peinture masquée – La République de l’Art (larepubliquedelart.com). C’est à une école de ce type (où officiaient aussi Pavel Tchelitchew et Eugene Berman) que souhaiterait appartenir Cyril Duret, une école de l’à-côté, qui ne va pas forcément dans le sens des aiguilles de la montre, qui joue de sa singularité et de son anachronisme. Mais là où le jeune homme est culotté, c’est quand il demande à des gens comme Colette Barbier, Vincent Honoré ou Nicolas Bourriaud, c’est-à-dire aux thuriféraires de l’art d’aujourd’hui de poser pour lui. Car on sait que, parmi eux, il n’y a pas que de grands défenseurs de la peinture, surtout de ce type!
Patrick Scemama