Le commerce de l’art

Par Laurent Goumarre,
exposition Toujours en été à la galerie Iconoscope

C’est donc retour à Montpellier pour Cyril Duret, et pour mon histoire avec ce peintre ; je me souviens, la première toile c’était à la Panacée, un portrait de C. Jérôme — j’apprendrai par la suite que c’était son oncle, qu’il en avait hérité des costumes, un complet couleur pêche qu’il portait lors de notre première rencontre.

Mais qui pouvait bien avoir eu l’idée de peindre le chanteur à minettes de mes années 70, je me disais, devant cette peinture travaillée sans cynisme, ni second degré, sans fascination ? Une peinture bizarre que je regardais comme une énigme, avant qu’elle ne m’apparaisse comme un salut réactionnaire à tout un prêt-à-penser sur la nécessité politique de l’art. Non Cyril Duret ne convoquait pas l’écologie, n’interrogeait pas le genre, n’activait pas le postcolonialisme, n’était pas intersectionnel. En un mot, Cyril Duret ne « questionnait » tellement pas, que sa peinture devenait, pour moi, un secret qui posait ses propres règles : poursuivre aujourd’hui le programme ‘révolutionnaire’ de la peinture mondaine. Car c’est bien ça l’enjeu : s’inscrire dans une histoire devenue mauvais genre de la peinture, alors même qu’au tournant de la fin du 19e début 20e, peintres mondains et impressionnistes étaient en guerre contre les académismes pompiers.
Le portrait mondain a souvent été seulement regardé comme le signe extérieur de richesse des puissants, de ceux qui paient pour ‘en être’, des aristocrates qui posent dans leurs salons, la grande bourgeoisie au milieu de ses collections, les femmes du monde en toilette, les industriels sur fond de bibliothèque. La peinture mondaine serait donc du côté des pouvoirs financier et politique, un art de traître au service du grand capital, une culture de classe. Mais on doit aussi la regarder comme un dispositif qui expose frontalement les relations de dépendance entre artistes et acheteurs. Et c’est bien ça qui me passionne : la peinture mondaine est une histoire économique de l’art. Sa révolution consiste à peindre l’argent, à exhiber le commerce de l’art.

Encore faut-il regarder de quoi on parle ? Qui sont les ‘puissants ‘ peints par Duret. Depuis trois ans, le programme du peintre s’est recentré sur le monde de l’art et celui de la culture — qu’un discours, là encore prédigéré, cherche à opposer, pour mieux édifier une vision romantique de l’art purifié de toute contrainte financière, alors qu’il n’est question que de complémentarité entre les deux. Ce recentrage s’est fait progressivement, la peinture ayant toujours été l’inconscient des portraits : Bardot… avec Picasso, Françoise Hardy… en modèle de Bernard Buffet…

Aujourd’hui, ce sont des peintres, collectionneurs, des commissaires d’expo, des institutionnels de la culture qui sont au centre des toiles, des allégories en somme des beaux-arts. Voilà les ‘puissants’ peints par Duret : des puissants misérables, en danger, menacés sur le plan de leurs valeurs, souvent sous-traités économiquement — on se reportera aux articles sur la prolétarisation des critiques d’art, commissaires, et des artistes.

Alors qu’ont-ils à gagner à être portraiturés par Duret ? quel retour sur investissement ? Peut-être celui qui s’entend dans le nom du peintre, gagner encore un peu de temps avant de disparaître avalés par une politique culturelle ‘A mort les artistes’. Peints par Duret… peints pour durer.

Laurent Goumarre