Bonjour Monsieur Duret !
Frédéric d’Agay

Depuis Holbein, les peintres portraitistes voyagent…voulant saisir la gloire des princes des cours de Londres, Paris ou Madrid, la magnificence des cardinaux romains, la puissance des banquiers d’Amsterdam et de Gènes, la richesse des armateurs d’Anvers et de Marseille, et la splendeur de leurs épouses. On croit qu’il y a une école française, une école anglaise, mais il n’en est rien : les portraitistes s’influencent les uns les autres tout au long des siècles et le bâton de la célébrité tourne de ville en ville. Van Dyck, qui fut le premier en son temps, peignit les grands de toutes les villes européennes. Rigaud, qui lui succéda, les peignit aussi mais en ne bougeant pas, c’est à Paris que vinrent les étrangers, comme les reines sous Louis XIII se rendaient chez Beaubrun…Les van Loo à Aix, Paris, et Madrid, apportèrent à Londres les nouveautés de Largillière et de Watteau qui y avait lui-même séjourné et importé les conversation pieces qui se répandirent en Angleterre. Échanges entre La Tour et Ramsay, Coypel et Reynolds, Nattier et Gainsborough…Une main posée tenant un gant, un chien avec son maitre, une table de travail féminine, une jambe en avant, un rideau qui flotte sont les détails de cette communauté d’artistes et font leurs différences.
C’est cette filiation, cette transmission, ignorée, méprisée, rejetée par tant et tant d’artistes aujourd’hui, qu’assume fort bien Cyril Duret, portraitiste de notre temps, que le goût pour le Midi et les hasards du confinement ont fait notre voisin, puis notre ami. Fixé, comme Courbet en 1854, en Languedoc, il s’est attaché aux deux rives du Rhône. Une amie commune nous a présenté. Et nous avons tout de suite commencé une longue conversation sur l’art, la peinture, le vrai jaune de Naples, la restauration des fresques, la gravure, Proust et Madeleine Lemaire, les salons, mais aussi la bonne chère, sans cesse reprise, poursuivie, interrompue, émaillée de bons plats et de bons vins ! J’aime ce portraitiste mondain, comme il dit, mais je préfère l’expression de successeur de Vuillard – si l’on parle de transmission - qui a tout de suite séduit l’ethno-historien que je suis. Ce magicien saisit son modèle dans sa sphère, mieux, dans ses entours et avec ses atours. Les modèles deviennent un élément du tableau, le motif de cette panoplie qui les révèle, les cerne, et nous les livre. C’est leur vie à cru, leurs passions, leurs vanités, leurs collections, livres, photos, tableaux, bibelots, meubles, plantes vertes que la lumière nous révèle. C’est une histoire que Cyril Duret raconte et j’aime ces histoires et son talent de conteur par la peinture. Je suis fasciné par le travail à la détrempe et les antiques pigments : lapis lazuli,  réalgar, porphyre vert, roches violette de l’Estérel, orpiment, les pierres broyées, le travail qu’on voit dans l’atelier de Beaucaire, cette recherche des belles couleurs, des beaux tons. Et la force de la lumière provençale et rhodanienne, Oui Cyril Duret est vraiment posé parmi nous, et je rêve de lui commander un tableau qui serait la réplique moderne de « Bonjour, Monsieur Courbet », ou la rencontre avec Alfred Bruyas, son grand mécène et collectionneur, aujourd’hui un des chefs d’œuvre du musée Fabre de Montpellier, qui est à la fois image populaire et manifeste artistique. Et où je lui dirai : « Bonjour, Monsieur Duret ! »