Cyril Duret et le portrait (dit) mondain
Olivier Steiner, in Diacritik

Je commence à avoir l’âge où je peux dire de tel jeune homme, fraîchement trentenaire ou sur la fin de sa vingtaine: «je l’ai connu tout bébé»! Et je suis heureux de le voir là, calme et rayonnant, peintre et artiste désormais reconnu, ou en voie de reconnaissance. Le «bébé» en question, connu il y a quelques années lors de délicieuses soirées chez Sapho, s’appelle Cyril Duret, et sa nouvelle exposition a lieu à la galerie Loeve&Co Marais.
D’une fine interrogation psychologique à une plus grande interrogation voire exploration plastiques, le travail de Cyril Duret, qui réinvente et prolonge l’art du portrait, me touche au plus haut point. J’ai toujours aimé l’art du portrait, les visages et les corps en général. Je peux par exemple rester des heures devant tel ou tel Nicolas de Largillière. Et au fond, je ne sais pas pourquoi. Il y a là de la fascination, peut-être un je ne sais quoi de mélancolique et de proustien? Que tel visage qui fut et n’est plus soit pourtant toujours aussi présent, me trouble, me questionne jusqu’au vertige. Ce serait comme un tremblement que je ne saurais décrire — et je ne le souhaite pas non plus. Il faut parfois accepter de ne pas mettre de mots sur certaines sensations afin de les garder pures, brutes, vitales.
Du portrait dit mondain (ou mondial) de Cyril Duret, je pourrais dire qu’il s’agit de traits rendus de façon plus ou moins naturaliste, je pourrais dire qu’il serait question de ressemblance ou de présence, de reconnaissance aussi, d’admiration, mais les termes les plus justes je crois seraient encore «anima» ou «animus» tels que décrits par Jung, pour le dire simplement l’anima serait une personnification des tendances féminines de la psyché d’un homme, et l’animus une personnification des tendances masculines de la psyché d’une femme. Il y a de ça dans la peinture de Cyril Duret, mais c’est suggéré tout en délicatesse voire hésitation, nous sommes loin des prises de position affirmatives sur la question du genre. La peinture de Cyril est d’aujourd’hui, du temps présent, mais pas de l’époque. Et ce n’est pas une pose, une forme de réaction, c’est comme ça, il est comme ça: un peu ailleurs, un peu «à côté».
Ou comme le dit Laurent Goumarre, la peinture de Cyril Duret est «travaillée sans cynisme, sans second degré, sans fascination»; et c’est peut-être ça encore que j’aime le plus chez lui. Sous le règne d’Instagram, le besoin de consolation de notre regard n’a jamais été aussi impossible à rassasier; Cyril offre peut-être une issue, un espace de consolation pour notre «voir» si mis à mal par la vulgarité et la violence omniprésentes. Cyril peint des êtres sans ego.
Si l’art du portrait fut longtemps celui des puissants et des stars (de la fin du Moyen-Age à Warhol), Cyril peint une aristocratie non dominante, parfois désuète, faite autant de contemporaniété que de nostalgie. Qui sont ces gens? Peu importe, ils sont, ils furent, ils seront peut-être. Ils passent, ils sont déjà passés.
Personne, aucun modèle, n’est en plein cadre. L’environnement chez Cyril Duret est toujours le motif principal, et si l’on découpe la toile, ces portraits deviennent abstraits, comme si le peintre pressentait que l’essence même du réel était d’être métaphysique. Il y a toujours un «plus grand quelque chose» dans les toiles de Cyril. Et je pense en disant cela à la fresque de Delacroix, «La lutte de Jacob avec l’ange»: l’ange et Jacob luttent et dansent dans le coin gauche de la peinture, mais le grand sujet de l’oeuvre c’est la nature, bien plus grande, ce sont les trois arbres qui au centre semblent observer sans juger, sans rien faire, sans rien dire. Mais qui sont complètement là, comme un mystère. Je crois que je passerai ma vie à sonder ce mystère.