Portraits de Caractère
Judicaël Lavrador dans Libération
Les peintures du jeune portraitiste, exposées à Paris, racontent des personnages mondains, parfois désuets, dans un intérieur omniprésent.
C’est un des genres les plus croulants de la peinture. Un art qui, lui-même, sort à peine de la mort clinique diagnostiquée par des légistes férus de photo et d’installation. Autant dire que les portraits mondains réalisés par Cyril Duret, même pas 30 ans, reviennent de loin. De bien avant le tournant avant- gardiste, abstrait, conceptuel (pourvu que rien ne soit plus figuratif) de
la peinture. Les toiles du jeune artiste, exposées à la galerie parisienne Loeve&Co, figurent bel et bien, en majesté, des gens qui avaient disparu
des pinceaux: des hommes, des femmes, ou des familles posant dans
leurs intérieurs opulents, pas nécessairement luxueux, mais fournis en livres, en œuvres d’art, en bijoux.
Au milieu de ce décorum fastueux à l’ancienne (qui sent l’encaustique et l’héritage, choyé autant qu’encombrant), ces modèles ont été sciemment choisis par Duret pour ça, qu’ils cultivent d’abord la beauté, la volupté, une distinction intellectuelle et artistique... Les gens dépeints par Cyril Duret sont des amateurs d’art, des écrivains, des collectionneurs, des compositeurs,
des commissaires d’expositions, pas des capitaines d’industries, ni leaders politiques, ténors du CAC40 ou influenceurs cumulant les abonnés.
Bazar. Son personnel mondain est donc un peu désuet, mais ne s’en plaint pas (pas plus qu’il n’est à plaindre). Y pointent Nicolas Bourriaud, Colette Barbier, Jean-Luc Blanc, Nina Childress, Cécile Ritzenthaler, Barbara Carlotti, parmi plein d’autres que, comme ceux-là, on peut ne connaître que vaguement,
de nom ou de réputation. Pas grave, même si à chaque fois, on lorgne les titres des toiles pour savoir qui est qui. Cependant, il y a autre chose à voir.
Car aucun sujet n’est portraituré plein cadre. Leur lieu de vie, objets, meubles, piles de livres, sculptures, peintures, miroirs prennent beaucoup plus de place.
Comme si le portrait mondain, adapté par Cyril Duret, virait au portrait écrin. Les gens posent au milieu de leur bazar, de leurs biens, des trésors (à leurs yeux), des tableaux anciens, un buste de Nietzsche, une lampe Memphis,
une cheminée de brique, qui prennent et renvoient toute la lumière.
Que tamise d’ocres et de bruns, couleur cuir tanné et roussi, la palette de Cyril Duret mais que rafraîchit sa technique de peinture à la détrempe, qui évite
de fixer les choses et les êtres dans une quelconque stabilité. Ça a l’air frais, surtout pas intangible.
Un peu de mort. Les êtres et l’espace autour d’eux ont l’air en mouvement, agités par le flux de leur pensée, notamment dans les portraits de groupe, mais aussi quand tel modèle se passe la main dans les cheveux, remué par la conversation qu’il entretient avec son portraitiste. Il y a un peu de mort et un peu de vie dans ces peintures, leur auteur n’ignore pas qu’il s’obstine
à peindre des gens importants en prenant le temps de les rencontrer et de leur parler, alors même que le résultat ne servira en rien leur notoriété,
ni sans doute la sienne. Dès lors, les portraits mondains de Duret pourraient apparaître comme des portraits anachroniques, où des modèles, bien en vie, sont rattrapés par le passé, mais prêtent en retour au médium un sursaut d’énergie.